Entretien Patricia et Benno Schnarwiler - Le temps des adieux 2025 - Campagnes - Actualité - Kinderkrebsschweiz
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« Sina voulait que nous continuions à vivre »

Entretien avec Patricia et Benno Schnarwiler 

Interview mit Patricia und Benno Schnarwiler

Benno et Patricia Schnarwiler sur le banc sous « l'arbre de Sina »

En 2023, Patricia et Benno Schnarwiler ont perdu leur fille, Sina, emportée par une forme rare de cancer des os. Elle avait 17 ans. Dans cet entretien, ils nous racontent comment ils ont essayé de faire face à leur douleur, ce qu’ils souhaitent et ce qui pourrait aider d’autres parents dans une situation similaire.

 

Quand le diagnostic est tombé, votre fille avait tout juste 15 ans. Elle était en pleine adolescence. Comment la décririez-vous ?

Patricia : Sina était une jeune fille extrêmement douce et positive. Elle débordait d’énergie et respirait la joie de vivre. Elle s’est vraiment épanouie au cours des années qui ont précédé le diagnostic et elle est devenue toujours plus proche de sa sœur, Mona. Leur complicité grandissante a fait un bien fou à mon cœur de mère.

Benno : Sina voulait mener une vie aussi normale que possible malgré son cancer. Elle refusait que tout tourne uniquement autour de la maladie. Elle aimait la musique et nous en avons souvent joué ensemble. Nous avons fait des jeux et beaucoup ri, même dans les moments difficiles. L’humour était très important pour Sina. Elle a échafaudé des projets jusqu’à la fin ; elle voulait encore commencer un apprentissage de charpentière et jouer du violoncelle dans un orchestre symphonique de jeunes. C’était aussi quelqu’un qui savait écouter ; elle a souvent remonté le moral aux autres, même quand elle n’allait pas bien.

 

Comment avez-vous vécu les dernières semaines avec Sina ?

Patricia : Nous savions que nous n’avions plus beaucoup de temps. Nous voulions profiter de chaque instant qui nous restait. Sina, de son côté, voulait que tout soit aussi normal que possible. C’est la vie qui devait prévaloir, pas la maladie. Quand nous avons pu la ramener de l’hôpital à la maison, elle a demandé à passer le plus clair de son temps dans le salon. C’est là que le quotidien se déroulait, avec tout ce qui en fait partie, dont les visites de ses grands-parents et de ses amies. C’était extrêmement important pour elle.

Benno : Sina ne voulait pas être triste, broyer du noir et être entourée de gens déprimés. Nous avons fini par l’accepter et nous avons tout fait pour exaucer son souhait. Nous avons gardé espoir jusqu’à la fin, peut-être justement parce que tout semblait tellement « normal ». Rationnellement, nous savions que ce n’était pas possible, mais en tant que parents, on s’accroche à l’espoir jusqu’au dernier souffle. Cela peut paraître absurde, mais ça m’a aidé.  

 

Sina s’est éteinte à la maison. Était-ce son souhait ou le vôtre ? 

Patricia : L’équipe palliative de la clinique où Sina était prise en charge nous a accompagnés étroitement. Nous avions noué une relation très personnelle avec les médecins. L’hospice aurait aussi été une possibilité. « Je préférerais rester à la maison », nous a dit Sina, « mais j’irai à l’hospice si cela vous rassure. » L’équipe palliative a rendu son souhait possible. Elle s’est occupée de tout le nécessaire ; elle nous a aidés pour le transport et elle était atteignable à toute heure du jour et de la nuit. Du coup, nous nous sentions en sécurité.

Benno : Le médecin palliatif qui suivait Sina nous a expliqué les différentes étapes de la mort. Nous ne savions en effet pas vraiment ce qui nous attendait, Sina et nous. Avec le recul, j’ai le sentiment que nous avons pris la décision qui convenait en disant adieu à notre fille en famille, dans son environnement habituel, même si c’était infiniment triste. Le médecin nous avait aussi dit que les personnes qui meurent nous quittent consciemment, qu’elles choisissent le bon moment pour elles. C’est ce qui s’est passé avec Sina.

 

Qu’est-ce qui vous aide dans votre deuil ?

Patricia : Certains rituels et certains lieux sont très importants pour nous. Nos voisins ont par exemple planté un arbre dans le pré qui s’étend devant notre maison et Benno a installé un banc dessous. Chaque année, nous organisons une « fête de l’arbre » avec café et gâteaux et Benno allume une bougie là-bas tous les soirs. Il y a aussi un endroit pour faire du feu en forêt que nous avons réaménagé avec des amis. Nous nous y rendons régulièrement. De cette manière, Sina est toujours présente, pour nous et pour les autres.

Benno : Sina aimait faire la fête, elle n’aurait pas voulu que nous soyons tout le temps tristes. Des rituels, comme le fait d’allumer une bougie ou d'aller sur sa tombe, sont précieux parce que, malgré toute notre impuissance, ils nous donnent la possibilité de montrer que nous pensons à elle. Les premiers temps, nous avons reçu un immense soutien de notre famille et de notre entourage. Des amis passaient, apportaient quelque chose ou nous invitaient chez eux. Savoir que nous n’étions pas seuls dans cette douloureuse épreuve nous a fait du bien. Ce sont souvent les petits gestes apparemment anodins qui comptent.

 

Comment Mona fait-elle face à la disparition de sa sœur ?

Benno : Je crois qu’elle se contient pour se protéger et pour nous protéger nous. Comme Sina, elle essaie de se concentrer sur ce qui est positif et de profiter des beaux moments. Elle sait qu’elle peut venir nous parler n’importe quand si elle en a envie. Parfois, nous voyons que cela la bouleverse plus qu’elle ne le montre, et tout à coup, les émotions jaillissent. Heureusement, elle a beaucoup d’amies et de hobbies. Nous sommes contents qu’elle soit si bien entourée.  

Patricia : Je pense qu’elle ne veut pas être une charge, car elle sait combien la situation est difficile pour nous. Je ne crois pas qu’elle ait eu le sentiment d’être délaissée, ni maintenant ni avant. Benno et moi avons tous deux des métiers qui nous laissent une grande latitude au niveau des horaires, de sorte que nous avons pu nous relayer pendant la maladie de Sina et que Mona n’est pas restée seule. Elle pleure elle aussi sa sœur, mais son deuil s’exprime autrement que chez un adulte.

 

La perte, en particulier celle d’un enfant, reste un sujet tabou. Comment votre entourage a-t-il réagi à la nouvelle ?

Benno : Plutôt par un silence gêné. Je comprends parfaitement qu’il soit difficile d’aborder le sujet, mais je suis tout de même étonné de voir que si peu de gens me parlent de la mort de Sina. Dans mon entourage professionnel également, on m’a rarement demandé comment j’allais. Je préférerais davantage de franchise et d’intérêt. Si le moment est mal choisi, je peux toujours le dire. Même si c’est parfois extrêmement douloureux, une franche discussion fait généralement beaucoup de bien au final. Il est regrettable que la mort soit toujours taboue dans notre société, encore plus quand elle touche un enfant.

Patricia : J’ai peur que Sina ne tombe dans l’oubli si on ne parle plus d’elle. C’est pourquoi j’apprécie beaucoup que des amis et d’autres personnes nous demandent comment nous allons ; cela nous permet d’évoquer son souvenir. Nous le faisons facilement avec mes parents : ils sont heureux de parler de Sina et cela les rassure de voir que nous pouvons aussi rire en pensant à elle. Aussi tragique qu’elle soit, l’histoire de Sina fait partie de nous, de notre vie. Je veux parler d’elle. Chaque fois que nous nous souvenons d’elle, chaque fois que nous la mentionnons, elle revit un peu.

 

Y a-t-il d’autres choses qui vous ont aidés ?

Patricia : Différentes choses, oui, en premier lieu notre entourage. Pour moi, l’attitude intérieure, la façon de voir l’existence dans les périodes sombres joue aussi un rôle fondamental. Je crois qu’on a toujours le choix entre se laisser sombrer ou avancer. Sina voulait que nous continuions à vivre. « Promettez-moi de ne pas toujours être tristes », nous a-t-elle dit. Elle ne parlait pas beaucoup de la mort, mais pour elle, c’était très important. Son état d’esprit positif nous porte encore.

Benno : Les échanges avec d’autres parents qui ont traversé des épreuves similaires apportent aussi un certain réconfort. L’association Kinderkrebshilfe Zentralschweiz, par exemple, qui nous a beaucoup soutenus pendant la maladie de Sina, organise également des groupes de deuil. Ces rencontres me donnent la possibilité de m’engager dans le processus de deuil sans avoir à m’expliquer parce que les autres sont dans une situation comparable. C’est quelque chose que j’apprécie énormément. 

Patricia : Le travail m’a aussi aidée en m’apportant une forme de distraction et en redonnant une structure à mon quotidien. Il m’a permis de souffler un peu, de prendre de petites bouffées d’air durant lesquelles Sina n’occupait pas toutes mes pensées. Ces brefs moments positifs m’ont aidée à retrouver un peu de légèreté. J’y ai puisé la force d’avancer, un pas après l’autre.

 

Que conseilleriez-vous aux autres parents en deuil ?

Patricia : Il y a des jours où tout demande un effort colossal et où on aurait juste envie de rester au fond du lit. Mais cela n’aide personne et surtout pas soi-même. Le deuil est un processus : on doit affronter ses émotions et avancer pas à pas. Durant ce processus, on peut accorder une place plus ou moins grande à la pitié envers soi-même. Sans notre groupe de deuil, nous aurions peut-être pensé qu’il n’y avait pas pire situation que la nôtre. Mais au sein du groupe, on remarque qu’on n’est pas seul avec sa douleur. Du coup, on s’apitoie moins sur soi-même, car cela ne fait qu’user les forces.

Benno : Je créerais davantage d’espaces et de lieux du souvenir. Cela peut être des rituels, comme une bougie qu’on allume, une cérémonie commémorative, à l’image de notre « fête de l’arbre », ou des journées spéciales. Nous fêtons par exemple chaque année l’anniversaire de Sina, et le jour de sa mort, nous allons ensemble à l’église. Ces moments nous relient à elle et nous font sentir sa présence très fort. La façon d’entretenir le souvenir est très personnelle. Mon expérience m’a appris que des rituels peuvent aider à intégrer une épreuve aussi douloureuse dans sa vie. La douleur nous accompagne cependant au quotidien, même si elle évolue au fil du temps.

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