Entretien Dr Eva Bergsträsser - Le temps des adieux 2025 - Campagnes - Actualité - Kinderkrebsschweiz
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« Un accompagnement palliatif précoce permet de faire une place à la vie »

Entretien avec la Dr Eva Bergsträsser, privat-docent, directrice du centre de compétences en soins palliatifs de l’Hôpital pédiatrique de Zurich

Interview mit PD Dr. med. Eva Bergsträsser

Avec son équipe, Eva Bergsträsser, oncologue pédiatre et pionnière des soins palliatifs pédiatriques, accompagne de jeunes patients atteints d’une maladie incurable et leur famille. Dans l’entretien accordé à Cancer de l’Enfant en Suisse, elle souligne l’importance de la qualité de vie et évoque les difficultés que soulève la prise en charge des enfants gravement malades.
 

Madame Bergsträsser, un grand nombre de cancers se soignent très bien chez l’enfant aujourd’hui, mais il y a, hélas, toujours des décès. Qu’apporte une prise en charge palliative ?

L’équipe palliative devrait être associée à la prise en charge dès qu’il apparaît que le traitement ne donnera pas le résultat escompté. En intervenant aussi tôt que possible, elle peut construire un lien avec la famille et établir une relation de confiance. La médecine palliative pédiatrique ne se limite pas à la fin de vie ; elle s’intéresse également à la façon dont l’enfant et sa famille peuvent utiliser le temps qu’il leur reste. L’intégration précoce dans la prise en charge permet de déterminer avec les parents et l’enfant ce qui compte pour eux et de ne pas se concentrer uniquement sur la maladie, mais de faire une place à la vie en créant un espace pour les souhaits individuels, les besoins et, aussi, les choses positives.

 

Qu’est-ce que la qualité de vie pour un enfant gravement atteint dans sa santé ?

Chez l’enfant, la prise en charge palliative débute souvent plus tôt que chez l’adulte, ce qui permet de mieux intégrer la qualité de vie dans la démarche de soins. La qualité de vie a une signification très différente d’un malade à l’autre. Certains enfants aimeraient encore commencer l’école, participer à une fête de famille ou, simplement, jouer avec leurs frères et sœurs. Pour nous, la prise en charge palliative consiste à prendre ces vœux au sérieux et à aider à les réaliser, que ce soit à travers un soutien organisationnel, des mesures médicales ou un accompagnement psychologique. Souvent, des choses qui peuvent paraître accessoires — le fait que les cheveux repoussent après la chimiothérapie, par exemple — revêtent une grande importance pour les enfants et les parents. Nous essayons de ramener de la normalité dans une période qui est tout, sauf normale. Notre objectif est d’épauler les familles dans cette situation extrême.

 

Concrètement, à quoi ressemble une prise en charge palliative ?

Nous commençons généralement par nous rendre dans la famille, idéalement avec le service de soins pédiatriques à domicile. Nous faisons connaissance avec les parents, les frères et sœurs, nous découvrons le quotidien familial et l’entourage. C’est après seulement que nous abordons des sujets difficiles comme les soins médicaux dans l’ultime phase de l’existence. Les patients souhaitent souvent mourir à la maison, mais ce n’est pas toujours la bonne solution pour eux. « Je ne veux pas en demander encore plus à maman », nous confient parfois les adolescents. Certains craignent aussi que le logement familial n’évoque trop la mort par la suite. Notre mission ne consiste pas à recommander une solution en particulier, mais à trouver, avec l’enfant et sa famille, le lieu et la voie qui leur conviennent. Cela peut être l’hôpital ou l’environnement familier à la maison. Ce qui compte, c’est qu’ils s’y sentent bien et en sécurité.

 

Vous avez dit une fois qu’on était « très loin d’une prise en charge généralisée des enfants et des adolescents en Suisse ». Est-ce toujours le cas ? 

Même si des progrès considérables ont été réalisés ces dernières années, nous sommes toujours à la traîne en comparaison internationale. À l’inverse d’autres pays d’Europe comme l’Allemagne ou l’Angleterre, la Suisse n’a pas inscrit les soins palliatifs dans sa législation. On observe par conséquent de fortes disparités cantonales, avec les conséquences que cela implique pour les patients et leurs familles. En oncologie pédiatrique, l’investissement du personnel médical joue un rôle fondamental, pas seulement parce qu’il n’y a peut-être pas d’offre complète de soins palliatifs sur place, mais parce qu’un grand nombre de prestations ne peuvent pas être facturées dans le cadre des structures tarifaires actuelles.

 

Avez-vous un vœu à formuler concernant la prise en charge palliative des enfants et des adolescents en Suisse ?

La mise en place d’une offre réglée de manière uniforme et disponible dans l’ensemble du pays. Le financement de cette offre ne devrait pas être uniquement à la charge des hôpitaux ; les cantons et la Confédération devraient y contribuer. Nous avons besoin d’une plus grande ouverture dans notre société, de plus de compréhension et de visibilité pour la réalité des enfants gravement atteints dans leur santé. Leurs besoins n’ont pas été suffisamment pris en compte dans la Stratégie nationale en matière de soins palliatifs adoptée par la Confédération et les cantons et au niveau du financement. La médecine pédiatrique est différente de la médecine adulte. Quand on parle de soins palliatifs, on pense généralement aux personnes âgées. Mais il y a aussi des enfants qui souffrent d’une maladie incurable, des enfants qui meurent non pas d’un accident, mais d’une maladie grave et qui décèdent parfois dans des conditions effroyables. Nous devons arrêter de subordonner leurs besoins à ceux des adultes. Les soins palliatifs ne concernent pas seulement la mort, mais aussi la vie, à plus forte raison chez les enfants.

 

Vous avez accompagné un grand nombre d’enfants et de familles dans l’ultime phase de l’existence. N’est-ce pas difficile à gérer émotionnellement ? 

Il y a des moments difficiles, c’est vrai. Mais j’aime ce travail, parce que, pour moi, il a du sens. Je prends soin de moi, je passe beaucoup de temps dans la nature et avec mes proches. Quand une famille me dit, une année après la perte : « Nous sommes toujours dans la peine, mais la vie continue », cela me donne de la force. C’est la preuve que notre accompagnement a rempli son objectif.

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