Interview avec Camilla Adby 2023/2 - Les défis de l'intégration scolaire 2023/02 - Campagnes - Actualité - Kinderkrebsschweiz
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« L’école n’a pas tenu compte des séquelles de la maladie »

Interview avec Camilla Adby, mère d'un jeune patient guéri

Interview mit Camilla Adby

Frappé par un cancer du foie à l’âge de six mois, Oscar a eu la vie sauve grâce à l'ablation chirurgicale de la tumeur et à une chimiothérapie de plusieurs mois. Agé de 8 huit ans aujourd’hui, le petit garçon est considéré comme guéri, mais souffre des effets à long terme des traitements intensifs qu’il a subis nourrisson. Ses parents s’engagent pour que les séquelles des enfants comme Oscar soient mieux prises en compte par l’école pour favoriser leur intégration scolaire et leur donner les mêmes chances de réussite.
 

Madame Adby, sept ans se sont écoulés depuis le diagnostic. Votre fils est considéré comme guéri, mais le cancer a laissé des traces. Comment va Oscar ?

Oscar va bien, c’est un immense bonheur. Nous n’allons à l’hôpital plus qu'une fois par an pour un contrôle de suivi, c’est un grand soulagement. Notre fils est un enfant très éveillé et joyeux. Il est ouvert sur le monde, adore faire la cuisine et s'intéresse aux autres. Oscar est aussi un grand fan de Stephen Hawking. Malheureusement, la chimiothérapie a endommagé son ouïe et il porte aujourd'hui un appareil auditif. Par ailleurs, avant même qu'il soit scolarisé, les médecins avaient constaté chez Oscar un certain « brouillard mental » induit par la chimio (chemobrain*). Ainsi, l'école est pour lui un défi au quotidien. Par rapport aux camarades du même âge, il se fatigue, voir s’épuise bien plus vite. Oscar et sa sœur jumelle, Elin, sont des prématurés; tous deux ont bénéficié d'un suivi médical régulier pour vérifier que la croissance se déroulait normalement. Or les médecins ont constaté chez Oscar des retards de développement absents chez sa sœur, et qui étaient directement liés à la chimiothérapie intensive. Oscar a donc bénéficié dès son plus jeune âge d'un encadrement médico-pédagogique qui lui a permis d'être scolarisé en même temps que sa sœur.

 

Comment se manifeste le phénomène de « brouillard mental » chez votre fils ?

Oscar présente des troubles de la concentration et a du mal à tenir en place. Face à la nouveauté, il lui faut d'abord tout explorer, toucher, démonter pour comprendre comment cela fonctionne. Voilà aussi pourquoi il lui est très difficile de rester tranquillement assis une heure entière à l'école. Les personnes qui ne sont pas au courant peuvent penser qu'il est atteint d’hyperactivité, ce qui n'est pas le cas. Les médecins qui le suivent nous ont expliqué que ses troubles neurocognitifs sont une conséquence directe de la chimiothérapie qu’il a subie bébé. C'est pourquoi on parle de troubles chimio-induits ou de « chemobrain ».

 

De nombreux jeunes patients guéris ont des difficultés scolaires, liées aux effets à long terme de la maladie et des traitements. Comment Oscar a-t-il vécu son entrée à l'école ?

Dans le cas d'Oscar, les premiers problèmes sont malheureusement apparus dès le jardin d'enfants. Alors que le pédiatre, la neuropsychologue et la pédagogue curative l'avait déclaré apte à rejoindre cette structure, au bout d'une semaine et demie, on nous informait qu'il ne pourrait y rester car il n’était pas encore prêt. Le personnel du jardin d’enfants ne prenait pas en considération les effets à long terme de la maladie, qui avaient des répercussions sur le comportement d’Oscar et pouvaient altérer certaines de ses capacités neurocognitives. À l’époque, j'ignorais qu'Oscar était légalement en droit de demeurer dans la structure et même d'obtenir du soutien. Nous avons donc cherché une autre solution dans le canton voisin. Cette période a été très difficile à vivre pour Oscar, qui s'est senti puni, alors que sa sœur continuait à aller au jardin d'enfants. Chaque fois que j'allais chercher Elin, il se cachait derrière moi. Avec l'aide du service psychologique du canton, nous avons fini par trouver un autre établissement dans notre commune, lequel a fait preuve de beaucoup de compréhension vis-à-vis de la situation particulière d'Oscar. Notre fils y a été encouragé et nous, parents, avons été entendus pour la première fois. Oscar s'y est senti très bien et a admirablement poursuivi son développement.

 

Et comment cela s'est-il passé ensuite, à l'école primaire ?

Au début, tout allait bien. Mais au bout d'un certain temps, nous avons remarqué que quelque chose n’allait pas. Oscar se plaignait de maux de tête et de ventre. Lui-même n'en parlait pas, mais sa sœur et des camarades nous ont raconté que certains enfants de l'école se comportaient de manière très agressive avec lui. Peu avant Noël, son appareil auditif vert dont il était si fier, a soudain disparu. Quelqu'un le lui avait arraché et jeté. La situation empirait et Oscar souffrait beaucoup. Nous avons essayé d'aborder le sujet du harcèlement avec l’établissement, mais en vain. Par la suite, on nous a dit qu'Oscar ne pouvait déchiffrer les lettres ni compter jusqu'à 20 – ce qu'il avait pourtant appris au jardin d'enfants en même temps qu'Elin et maîtrisait bien, comme le montrent d'ailleurs ses bulletins scolaires de l'époque. Toutes nos tentatives de dialogue avec la direction pour expliquer les raisons des difficultés d'Oscar, enfant guéri d'un cancer, et les moyens de l'aider sont restées sans effet. Au contraire, il a été progressivement exclu de différents cours et n'était plus autorisé à participer à nombre d'activités. Cela ne pouvait plus continuer ainsi, la charge émotionnelle devenait trop lourde pour lui. Finalement, le service psychologique du canton a fait le nécessaire pour transférer Oscar dans une nouvelle école à la rentrée suivante. Le personnel de cet établissement s’est montré très à l'écoute et très ouvert vis-à-vis de la situation particulière d'Oscar. Notre fils s'y trouve très bien, y est encouragé de manière individualisée et a enfin retrouvé son sourire.

 

Qu'est-ce qui a été le plus difficile pour vous durant cette période et quelles améliorations, souhaiteriez-vous pour les enfants et les parents vivant des situations similaires ?

Nous avons eu l'impression que l'école négligeait Oscar dès le moment où il n’entrait plus dans leurs schémas avec son « chemobrain ». Notre fils ne se trouve pourtant pas en situation de handicap, il subit juste les effets à long terme de son cancer. Il existe un diagnostic établi et plusieurs rapports médicaux attestant de son état de développement. Nous avons maintes fois tenté de discuter avec la direction du premier établissement, et la neuropsychologue était d'accord pour nous accompagner dans la démarche. Mais l’école a continué à faire la sourde oreille. Dès le second semestre, Oscar s'est trouvé de plus en plus isolé. Il a vécu là des mois terribles, qui l'ont profondément marqué. Il me demandait sans cesse : « Qu'est-ce qui ne va pas chez moi ? Pourquoi est-ce que je suis si bête ? » Pour l'aider à surmonter cette période, sa médecin nous a même conseillé de le faire suivre par un psychologue. Je ressens encore beaucoup de tristesse et de colère. Chaque école est différente, nous en avons fait l'expérience. Mais il est inconcevable que l'intégration d'un enfant présentant des besoins éducatifs spécifiques liés à une maladie soit pareillement livrée au hasard. Afin que d'autres familles ne vivent pas la même chose, j'aimerais que les écoles soient davantage sensibilisées à la question du cancer pédiatrique et disposées à accepter les élèves comme Oscar, malgré leurs différences. 

 

 

* Le terme de « chemobrain » fait référence à un ensemble de symptômes et désigne les troubles neurocognitifs apparaissant après une chimiothérapie. Les fonctions cérébrales concernées sont essentiellement celles liées à la mémorisation ou à la planification et au traitement des informations. Les capacités de concentration, les performances mnésiques, et la mémoire à court et long terme sont diminuées. Les personnes touchées éprouvent des difficultés d'apprentissage, sont moins réactives et plus distraites. Elles peuvent avoir du mal à accomplir plusieurs tâches simultanées ou à trouver leurs mots et des troubles de la coordination ou de la mémoire verbale et visuelle peuvent également apparaître.

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